Boc21 a écrit:Bien entendu !
Tu remarqueras que je reprends un terme "qu'est-ce que savoir ?" directement lié au titre du livre que tu nous proposes à savoir "Ce que nous ne saurons jamais".
La question que je pose serait plus radicalement "savons-nous quoi que ce soit" ?
Ou, en d'autres termes, a-t-on acquis la connaissance absolue de la réalité de quoi que ce soit ?
....
Tu m'obliges à réfléchir, et en tant que militant de la paresse, j'ai du mal.
Je vais être amené à redire des choses que j'ai déjà évoquées.
L'homme depuis qu'il est sur terre observe la nature, celle qui est autour de lui et celle qui est dans lui, dont il fait partie. Et un jour, il y en a bien un qui a du se dire "mais comment ça marche?"
Le problème est que la nature est de complexité infinie, donc sauf a être capable d'un savoir infini, elles nous est à jamais inconnaissable.
A noter que le fait que la complexité de la nature soit infinie, je le pose comme une intime conviction, une croyance.
Alors que faire? Eh bien, faute de grives...
Donc on va construire des modèles, beaucoup plus simples pour pouvoir raisonner dessus. Un modèle, c'est une construction intellectuelle qui représente ce que j'observe, dans un certain domaine de validité. Et en plus si ce modèle est capable de me montrer des choses que je n'ai pas encore vues, c'est mieux. Mais attention, il ne faut jamais sortir du domaine de validité défini, sous peine de raconter des couenneries.
Quelques exemples:
Je regarde autour de moi, si je suis dans une région pas trop montagneuse, la terre est plate, si je prends comme domaine de validité quelques km² et une précision de l'ordre du %.
Et si je suis maçon, ce domaine va me suffire. Donc, dans son domaine de validité, il est exact.
Si je suis marin, que je regarde à la jumelle un autre navire qui s'approche, je vais voir d'abord les têtes de mats, puis le château semble sortir progressivement de l'eau, et en dernier la coque.
Là je suis au delà du domaine de validité de mon modèle initial, donc je vais en construire un autre, avec un domaine de validité plus étendu. Allons y, terre sphérique!
Bon , ce modèle a aussi ses limites, là en termes de précision: la terre est aplatie à cause de la force centrifuge due à sa rotation. Donc, nouveau modèle.
Et on peut continuer longtemps: bien sûr, il y a les montagnes et les vallées, mais même sur les océans, il y a des écarts de niveau de plusieurs mètres dus aux variations de la valeur locale de la gravité. Donc notre modèle commence à drôlement se complexifier et on s'arrêtera...quand il sera suffisant pour nos besoins. Et son écart par rapport à la
Réalité ? Amha, question indécidable.
Un exemple célèbre:
Les astronomes qui sont des gens sérieux et précis avaient observé que l'orbite de Mercure présentait quelques anomalies par rapport à la théorie: le périhélie, dans son mouvement de précession , présentait une avance de 43" par siècle! Là, pas de soucis, on connaît bien puisque c'est comme ça que LeVerrier à découvert Neptune! (et ensuite Clyde Tombaugh pour Pluton): Il y a une autre planète qui perturbe.
On la baptise Vulcain et on la cherche fébrilement; ça dure plusieurs dizaines d'années et il faut se rendre à l'évidence: pas de Vulcain.
Ces 43" d'avance restent un mystère jusqu'en 1919, où l'astronome Eddington mesure à la demande d'un petit jeunot nommé Albert Einstein la déviation des rayons lumineux d'étoiles presque alignées avec le soleil lors d'une éclipse. Là on est tombé en dehors des limites de validité du modèle en cours: rien ne prévoyait que la masse du soleil dévie des rayons lumineux sans masse.
Einstein reporte la valeur dans ses calculs et obtient les fameuses 43", et le nouveau modèle s'appelle "Relativité générale"
J'insiste lourdement sur le fait qu'aucun des nouveaux modèles n'invalide l'ancien: il ne fait qu'en étendre le domaine de validité.Un autre exemple rigolo, dû au mathématicien Benoît Mandelbrodt:
Question : "Quelle est la longueur de la côte de Bretagne?"
Si je mesure sur la carte avec le petit stylo spécial, j'obtiens une première valeur.
Si je suis courageux et me rends sur le terrain avec ma chaîne d'arpenteur, je trouve une seconde valeur, plus grande.
Si je suis fou et que j'y vais avec un double décimètre, je trouve une valeur, plus grande
Si j'y vais avec un microscope.... etc
Bref, la longueur de la côte de Bretagne n'existe pas en tant que telle. Donc modèle: une fonction fractale (dimension 1,5 de mémoire, à vérifier)
En fait je ne sais travailler et raisonner que sur des modèles que j'ai moi même établis.
Je n'ai pas parlé des disciplines comme la psychiatrie, la sociologie que je connais peu, mais il me semble aussi que l'on travaille sur des modèles plus ou moins simplifiés donc avec des domaines de validité plus ou moins étendus.
Alors dans tout ça, le savoir, c'est la connaissance des modèles avec leurs limites de validité, donc quelque chose de très mouvant. Et la réalité, c'est quoi? Je ne suis même pas sûr que la question ait un sens.
A+