syber a écrit:Et à ce moment-là, non seulement j’ai vu la guitare de Pepe Romero, non seulement j’ai vu les talons du danseur de flamenco frapper sèchement et nerveusement le plancher de l’estrade, mais j’ai également vu l’estrade de bois formant une grande caisse de résonnance qui fait vibrer le corps entier de l’auditeur. C’était d’un niveau de réalisme inédit sur cet enregistrement. C’était crédible. J’y étais !
Plus d’une semaine ayant passé, m’attelant à la rédaction de ce CR, avec le sens du paradoxe que certains ont cru déceler chez moi, je ne résiste pas au plaisir de vous décrire le sentiment qui me traverse au moment où j’écris ces mots :
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter à nos lecteurs fiévreux de nouveauté, d’anecdotes taquines et de poil à gratter qui dérange ?
Comprenez-moi bien. Ça marche ! Il n’y a plus rien – ou presque – à en dire. Et du point de vue du commentateur que je suis, invité pour son sens critique, c’est un peu frustrant car ma valeur ajoutée et ce pourquoi je suis reconnu dans ces situations est devenu caduque. Ça marche !
Au bout de cette aventure qui nous fit nous confronter toutes ces années avec les techniques de reproduction sonore parmi les plus actuelles et pointues, il faut bien se rendre à l’évidence qu’il n’y a plus grand-chose à dire et qu’Igor est arrivé au bout de sa démarche. Que l’on réalise la somme d’intelligence et de persévérance pour en arriver là : filtrage FIR, multi amplification en Classe D, égalisation plein bande par mesure MMM, convolution, une gestion du grave d’une grande créativité avec 4 caissons (je ne saurais pas en expliquer le fonctionnement), traitement acoustique passif, des heures et des heures d’écoutes solitaires puis collectives, des comparaisons entre enregistrements personnels et leur reproduction.
Un brin de culture pop mâtinée de machisme de bon aloi me fait vous rappeler cette campagne de publicité des années 90 ou une ménagère représentante de sa génération affirmait haut et fort : Je veux tout !
Effectivement, on a tout. La définition et l’intelligibilité, les capacités dynamiques qui permettent d’écouter à niveau réaliste, la fidélité des timbres, la géométrie respectée de la scène sonore – on y reviendra – la localisation des sources sonores. Décrire ? Mais décrire quoi et comment ? Le jeune homme qui achète sa première paire de biblios à pas trop cher parlera de la sensation inouïe pour lui d’avoir les musiciens en face de lui et de redécouvrir ses disques. Mes mots sont-ils fondamentalement différents alors que je parle d’une installation hors norme.
Est-ce que je me berlure ? J’ai écouté plusieurs centaines d’enceintes différentes et d’installation dont des professionnelles, calibrées. Je me fais donc petit à petit une idée de comment doit sonner une reproduction sonore. On est là sur du très haut niveau de qualité. J’avoue ne pas avoir d’exemples en tête d’installations qui sonnent mieux. En rédigeant ces lignes, je me remémore mes écoutes et spontanément me reviens à l’esprit l’écoute des Blue Horn de Meyer Sound dans un studio de Radio France. C’est un peu le même genre d’émotion qui remonte. Ça marche et il n’y a rien à dire à ce sujet. C’en est presque décevant car une part importante de la culture audiophile consiste justement à chercher la petite bête – et parfois, souvent, à imaginer sa présence.
Comme un long parcours, un long apprentissage qui nous fait progressivement nous détacher des fadaises au sujet des câbles, de la non importance des lecteurs de CD, de l’importance toute relative des amplis, pour se concentrer uniquement sur les enceintes et leur couplage d’avec le local. Et en bout de course, même les enceintes on s’en détache car on a fini par apprendre deux ou trois choses en parcourant la prairie (John Wayne inside) et que toutes les bonnes enceintes sonnent pareilles en vérité (exceptées les Cabasse qui est la meilleure marque au monde comme chacun le sait : donc les Cabasse sonnent comme les meilleures enceintes mais en mieux). Les bons matériels sont légion et seule l’acoustique fait la différence. Voilà, on en est arrivé à ce stade.
Alors ? Sensation de vacuité ? En définitive non, on accède tout simplement à un autre type de plaisir qui consiste à enregistrer dans son corps et sa mémoire l’impression d’avoir eu un danseur de flamenco devant soi, rien que pour soi, frappant nerveusement une estrade qui faisait caisse de résonance au point de faire vibrer mon corps.
On ne va pas se quitter comme ça, il reste à mon avis un sujet d’étude. Je serai curieux d’entendre ce que pourrais faire Jean-Luc avec 4 caissons de 38 cm au lieu de 30 cm. J’ai le souvenir d’un studio de mixage cinéma équipé de trois 46 cm qui faisaient leur petit effet. Un petit effet du genre à faire vibrer les bas de pantalon lors de la scène de l’attaque dans Master and Commander. On m’objectera – fort justement – que les intentions de Hervé Lamy dans son disque Christus Rex enregistré par Igor ne consistent pas principalement à faire vibrer les bas de pantalon de Syber. Néanmoins, je sais d’expérience à quel point le grave est fort utile pour reproduire correctement les vibrations et les pulsations d’une salle et je me demande si …
Enfin, en guise de conclusion taquine, il ressort de cette séance une interrogation concernant la position d’écoute. Je la signale pour ravir les subjectivistes car elle concerne l’installation la plus objectiviste qui soit puisqu’elle nécessita plus de 1000 mesures acoustiques pour son accomplissement. Il existe deux preset d’écoute. A 2,5 mètres et à 3 mètres. Celui à 2,5 mètres est plus spécifiquement dédié à l’écoute 5.1 en permettant une distance quasi identique entre l’auditeur et les cinq enceintes. Le preset à 3 mètres est plutôt destiné aux écoutes en deux canaux. Il apparait globalement que les auditeurs – en écoute à deux canaux, donc – ont plutôt préféré les écoutes à 2,5 mètres sur les musiques produites (pour la précision de la reproduction) et à 3 mètres pour les musiques captées en live avec deux micros (pour l’ampleur de la reproduction). Néanmoins, votre serviteur a fermement objecté qu’à 3 mètres, il ne retrouvait par la géométrie et les dimensions de la chorale des Petits Chanteur de la Croix de Neuilly ; enregistrement lors duquel j’étais présent et dont je peux témoigner qu’il n’y avait que deux micros de captation puisque je me trouvais derrière eux par moment. En se plaçant à 2,5 mètres, la chorale retrouve ses dimensions. Deux questions se posent alors. Qu’est-ce qui fait que ce disque donne ces symptômes particuliers ? Ou pire, est-ce que subjectivement les auditeurs objectivistes ont préféré une reproduction moins fidèle sur certaines musiques ?
Sur ce …
Merci Syber.
Un véritable plaisir à lire. La construction du CR et le français ciselé est un délice.
Le fond n'en est pas moins intéressant.
Je retiens, entre autres, cette drôle de sensation d'avoir fini. Après tout ce temps, tous ces efforts, cette patience. Quand elle demande tant d'énergie, la recherche de la perfection (devrait on dire plus prudemment optimisation) devient l'activité en soit. Quand on l'a atteinte, peut-on encore s'assoir et écouter sans avoir son esprit surentraîné à l'analyse venir jouer les trouble-fête ?
Apparemment oui, mais peut-être pas pour tout le monde (pas pour moi, d'où une cure de detox de recherche d'optimisation de ma part ces dernières années pour pouvoir écouter de la musique "en paix")
Et puis si l'écoute est un plaisir solitaire, le besoin de partage demeure. La mise au point est l'occasion de rencontres, d'élans collectifs où chacun a son rôle. Est-ce que cela reste quand la raison première de son existence disparaît ? Cela change assurément de saveur.
Bon j'arrête, A+