Un vent favorable a déposé sur le plateau de mon lecteur un DVDR contenant l’enregistrement de l’opéra de Lully ATYS, publication aujourd’hui malheureusement épuisée. Le voir et l’écouter furent pour moi un long moment de pur plaisir et je remercie avec les deux mains le membre de ce forum qui m’a fait l’insigne amitié de me l’envoyer. Cet enregistrement m’est apparu comme un exemple magnifique de ce qu’il faut faire pour ressusciter l’opéra français du grand-siècle dans toute sa magnificence.
Tout est en effet très grand-siècle dans cet opéra conçu pour les yeux et les oreilles du roi Louis XIV. La réalisation de l’OPERA COMIQUE (montée et imaginée par Roussillon et Jean-Marie Villégier avec les ARTS FLORISSANTS et le concours notamment de Bernard Richter dans le rôle d’Atys, de Stéphanie d’Oustrac dans celui de Cybèle et Emmanuelle de Negri en Sangaride) est l’exemple parfait d’une renaissance de la tragédie lyrique dans une conception où la musique de Lully, le texte de Quinault et les décors, les costumes et la mise en scène concordent pour présenter un spectacle qui puisse nous émouvoir dans ce qu’il put être lorsqu’il fut joué devant le roi.
L’argument est hors du temps et de l’espace, ce qui était la façon de l’époque d’exprimer le dépaysement nécessaire à l’imaginaire poétique de l’œuvre d’opéra.
L’action se déroule dans une lointaine Phrygie dont la déesse tutélaire est la terrible Cybèle. Cette déesse a décidé de quitter le ciel des dieux et de descendre au pays de Phrygie où elle est accueillie en grande pompe.
Elle a fait le voyage parce qu’elle est amoureuse d’Atys, beau jeune-homme, bien en cour, qu’elle désire introniser en qualité de sacrificateur pour mieux mettre la main dessus.
Le ressort dramatique résulte du fait qu’Atys refuse cet amour, tout divin qu’il soit. Il refuse parce qu’il aime la jeune nymphe Sangaride. Les deux jeunes-gens viennent de découvrir qu’ils s’aimaient sans le savoir et d’une manière un peu honteuse parce que la demoiselle, divinité des ruisseaux mais fille d’un fleuve ivrogne, doit voir sa gloire reconnue en épousant sous peu le roi de Phrygie, un roi dont Atys est le meilleur ami.
Cybèle laisse sa divine colère éclater sans retenue et pour se venger fait appel à un sortilège qui rend fou Atys. Le malheureux, aveuglé par le maléfice, croit voir dans l’innocente Sangaride un monstre furieux et la tue. Aussitôt Cybèle le désabuse et lui fait voir la réalité de son geste : il a tué la femme qu’il aimait. Mais la vengeance se retourne contre celle qui l’a tramée car Atys désespéré se suicide devant elle. Cybèle en éprouve un chagrin qui sera d’autant plus irrémédiable qu’il sera éternel. Pour se consoler dans l’éternité, elle change Atys en un arbre qui ne perdra jamais sa ramure, l’arbre qui est le symbole de la déesse.
Le livret de Quinault, bien ficelé (ce qui le distingue parmi les livrets d’opéra baroque), a été écrit dans le style d’alors. L’amour est un sentiment éternel mais la façon de l’exprimer marque le verbe d’une époque. Et il faut bien avouer que celui du grand du grand-siècle nous parait souvent (même chez Molière) dépourvu de naturel. Les détours de langage que les deux jeunes protagonistes utilisent pour s’avouer leur amour apparaissent comme trop convenus pour émouvoir à une simple lecture, encore qu’en l’occurrence, cette manière contournée de s’exprimer a une assise psychologique, chacun cherchant à savoir ce que l’autre éprouve sans dévoiler ses propres sentiments.
Or, la musique de Lully s’inscrit naturellement dans cette façon de s’exprimer. Elle en est l’incarnation musicale. Elle en développe l’expression écrite en vers dans de longs récitatifs arioso à la chute montante ou descendante qui respectent la prosodie dans un mélange intime de ce qui est dit et de ce qui est chanté. Le sel de cette musique se trouve aussi dans l’accompagnement, souvent en continuo, qui souligne, agrémente, bouscule la monotonie du chant. Parfois le continuo se contente de soutenir l’intonation puis de recevoir la chute de la phrase dans un accord plus ou moins expressif; parfois au contraire il entraine le chant dans la dynamique de chaconnes vitales.
La musique sort cependant de son lit prosodique pour suivre et décrire les passions, l’amour, le désespoir et la haine, celles de Cybèle et son enchainement fatal, celles plus épurée d’Atys et de sa nymphe.
Il y a aussi évidemment des airs qui peuvent être très chantants pour évoquer les instants de plaisir et qui pourraient avoir eu le ton et l’entregent des chansons que l’on fredonnait à l’époque.
Les chœurs qui expriment les réactions du peuple Phrygien sont magnifiques et ils sont très bien captés. Bravo pour l’ingénieur du son.
Et comme les moyens des déesses sont insondables, au lieu de parler d’amour comme l’aurait fait une simple mortelle, Cybèle endort Atys par sortilège pour lui fait voir en songe les béatitudes que son amour lui réserve mais aussi des grands tourments s’il ne consent pas à le partager. L’épisode de l’endormissement d’Atys est un grand moment de la partition. Il est à la fois chanté et dansé et il est accompagné par une musique enchanteresse jouée sur scène par des flutes et des luths.
Les personnages et le chœur sont vêtus d’habits rutilants taillés dans l’imaginaire de l’époque. Les hommes sont coiffés de fastueuses perruques dont les mèches à ressort leur tombent sur les épaules.
Les intermèdes dansés se développent avec une extrême simplicité dans les mouvements comme devait l’être le ballet de cour. Il y règne une sorte de gestuelle gracieuse qui sculpte la musique de Lully en la suivant pas-à-pas avec naturel, avec lenteur lorsque la musique le demande, avec plus de vivacité lorsque la musique se fait primesautière, mais toujours avec la retenue inspirée par un tempo d’autrefois.
L’orchestre des ARTS FLORISSANTS nous restitue avec une très grande sensibilité les arcanes de cette musique qui n’est pas que majestueuse mais qui sait aussi traduire les pulsations de haine comme d’amour, de plaisir comme de désespoir, avec le balancement rythmique typique de la musique française baroque. Ce mouvement ondoyant de la musique est incarné par la battue de William Christie qui dirige de la main, sans baguette (à la différence de Lully qui frappait le sol avec sa canne). On a le plaisir de voir assez longuement l’orchestre et son chef pendant l’ouverture et pendant les intermèdes. On les voit dans les œuvres vives de la musique baroque du grand-siècle, un spectacle instructif et réjouissant.
Le plateau de chanteurs est de tout premier ordre. La voix impérieuse et sensuelle de Mme d’Oustrac donne à Cybèle dont elle incarne parfaitement la divinité une chaleur vengeresse puis désespérée très humaine. La petite de Négri dans le rôle de Sangaride est une soprano raffinée qui se glisse dans la musique de Lully comme une main dans son gant et Bernard Richter dans le rôle-titre a la vaillance vocale de l’emploi.
Ce qui fait pour moi tout le prix de cette réalisation, c’est une mise en scène somptueuse qui me transporte dans ce que j’imagine avoir été la représentation de l’opéra devant la cour de Louis XIV et où la musique de Lully trouve à s’exprimer dans son plus beau naturel. Tout s’accorde au sein de ce spectacle pour donner le sentiment d’une complète harmonie entre ce que l’on voit sur la scène et ce que l’on entend depuis la fosse.
Ce n'était que mon avis.
L’édition d’ DVD d’Atys est aujourd’hui épuisée et elle n’a pas fait l’objet d’une réédition. C’est tout-à-fait incompréhensible, alors qu’est toujours disponible le DVD de l’exécrable exécution (au sens capital du terme) d’Armide, une autre tragédie de Quinault mise en musique par Lully. Cependant le magnifique CD d’Atys réalisé par les mêmes ARTS FLORISSANTS mais avec une autre distribution a fait l’objet de plusieurs rééditions et est donc toujours disponible. Pour ceux qui possèdent le CD mais pas le DVD et pour les malheureux qui ne verront peut-être jamais ce DVD, j’ai réalisé quelques photographies qui leur donneront une meilleure idée de ce que j’ai pu écrire et, pour certains, une audition du CD plus imaginative.
Ces photos ne sont pas d’excellente qualité ; elles ont été prises sur l’écran de ma télévision, donc à partir d’un DVDR qui, si je ne m’abuse, fut lui-même une heureuse sauvegarde d’une émission de télévision. Elles immobilisent souvent des personnages en mouvement et l’instantané dans les gestes ou les physionomies peut donner un certain floutage désagréable à voir. Mais l’essentiel de la beauté de la mise en scène et des costumes d’époque demeure.
Il y a d’abord le prologue qui, dans l’opéra français des XVIIème et XVIIIème siècles, constitue un hommage appuyé au roi qui honore la représentation de sa présence. Ce prologue obligé est également une porte d’entrée sur l’opéra et donne au spectateur une première impression qui pourrait être définitive alors que le sujet est rébarbatif et difficile à mettre en scène.
Celui d’Atys est cependant plus subtil qu’une simple flagornerie. Il présente l’œuvre comme une commémoration de l’histoire de ce héros qui tient tant au cœur de Cybèle et que celle-ci a souhaité voir se dérouler parmi la cour d’un grand roi (voilà pour l’hommage). Dans ce dessein, le Printemps et l’Hiver rivalisent de mérites et la poésie rustique des campagnes le dispute avec celle tragique du grand style. Cette allégorie nous est présentée par une suite de tableaux où se suivent les jeux de scène de personnages richement vêtus, les jeux de danses harmonieuses et, depuis le balcon autour de la scène, le commentaire du chœur. C’est plaisant à voir et c’est une avenante entrée dans la musique de Lully.
Un personnage tutélaire au milieu de la scène avec sa faux pour symboliser le temps qui passe et la mort du héros
Les danseuses qui incarnent le printemps et la poésie du terroir tracent la musique de Lully dans l’espace.
Le grand style, celui de la tragédie est figuré par des danseurs qui ajoutent un air sérieux à la grâce de la dance.
Puis le grand style et celui du terroir s’accordent dans un pas de danse
Les têtes emperruquées du chœur émergent de la rambarde.
L’opéra s’ouvre ensuite :
Entre d’abord Atys lui-même
avec son confident auquel il finit par avouer son amour pour la nymphe Sangaride
Puis vient Sangaride
Qui se confie à sa suivante
Et les deux jeunes-gens qui viennent de découvrir leur amour
Arrive enfin la déesse Cybèle
Qui sait aimer et haïr comme une mortelle
Cybèle envoie les songes pour faire découvrir sa flamme à Atys endormi
d'abord des songes remplis de félicités
mais de menaces si Atys ne partage pas les mêmes sentiments
C'est le fin,
Atys pleure son amie qu'il vient de tuer en maudissant le destin
puis se suicide devant la déesse médusée