roland_de_lassus a écrit:Tiens, tant qu'on en est avec les histoires..
Il était une fois un amateur qui voulait étudier le comportement des mouches.
Il attrape une mouche, la met dans sa main et lui dit "vole". Et la mouche s'envole.
Il rattrape la mouche, lui enlève une aile, et lui dit "vole". Et la mouche s'envole.
De nouveau, il prend la mouche (sens littéral). Lui enlève sa seconde aile. Lui dit "Vole". Et la mouche reste dans sa main.
Il écrit alors consciensieusement dans son petit carnet:
"Quand on enlève les ailes à une mouche, elle devient sourde".
Une autre histoire célèbre que j'aime beaucoup :
(La Recherche)
"Les polémiques sur l'existence de canaux à la surface de Mars ont marqué le début d'un engouement sans précédent pour la planète Rouge.E n 1877, le directeur de l'observatoire de Milan, Giovanni Virginio Schiaparelli, tournait sa lunette en direction de Mars. Les conditions étaient alors particulièrement propices à l'observation de cette planète, en raison d'un alignement spécifique entre la Terre, Mars et le Soleil. Et ce qu'il découvrit le sidéra : la surface de l'astre semblait en effet sillonnée de lignes sombres, larges d'une centaine de kilomètres et longues de plusieurs milliers, ressemblant à un vaste réseau hydrographique.
Certaines de ces lignes avaient déjà été repérées quelques années auparavant par le jésuite Angelo Secchi et par l'astronome britannique William Dawes, sans que leurs observations fissent toutefois grand bruit. Contrairement à ces derniers, Schiaparelli jouissait d'une bonne renommée au sein de la communauté des astronomes. Il avait, par ailleurs, un sens beaucoup plus aigu de la communication. Il entreprit ainsi de réaliser une cartographie systématique de la planète Mars, et de donner, par la suite, un maximum d'échos aux résultats qu'il obtiendrait.
Structures artificielles
Pour qualifier le réseau de lignes qu'il venait de mettre en évidence à la surface de Mars, Schiaparelli reprit le terme italien de canale, déjà employé par Secchi. Ce terme fut malencontreusement traduit par « canal », en anglais et en français, au lieu de « chenal », comme il se devait. Or « canal » évoque implicitement l'idée de structures artificielles. Il faut dire que les grands travaux étaient dans l'air du temps : le canal de Suez avait été inauguré en 1869, et un projet similaire était en préparation à Panama.
Quelques scientifiques se montrèrent néanmoins sceptiques quant à l'existence d'un réseau hydrographique à la surface de Mars. Comme l'astronome anglais Nathaniel Everett Green, par exemple, qui évoqua l'hypothèse d'une illusion d'optique. Il reconnut avoir lui-même observé quelques structures filiformes depuis l'île de Madère. Mais ces structures disparaissaient au fur et à mesure que la définition de l'image s'améliorait. Selon Green, la turbulence de l'atmosphère, la petitesse des détails, la perte de luminosité engendrée par des grossissements excessifs, la fatigue oculaire et une tendance naturelle à l'autosuggestion, constituaient autant de facteurs susceptibles d'induire l'observateur en erreur.
Observations bisannuelles
Mais la polémique n'enfla pas immédiatement, car Mars n'était observable en détail que tous les deux ans environ, lors d'alignements particuliers appelés « oppositions ». Mars, le Soleil et la Terre se retrouvent alors alignés, avec la Terre entre les deux. Les distances sont alors minimales, surtout lorsque Mars est au plus près du Soleil, comme ce fut le cas en 1877.
Schiaparelli poursuivit ses observations pendant sept oppositions successives, jusqu'en 1890. En 1882, il annonça ainsi le dédoublement, ou plutôt le doublement de certains canaux. Associée au caractère géométrique des structures étudiées, cette observation contribua à accréditer l'hypothèse d'une origine « artificielle ». À l'époque, la tentation de faire de Mars une sorte de seconde Terre était en effet très forte.
Deux hommes parvinrent à enflammer l'imagination populaire : le Français Camille Flammarion et l'Américain Percival Lowell. Le premier avait travaillé avec Urbain Le Verrier, le découvreur de Neptune, à l'Observatoire de Paris. Fondateur de la Société astronomique de France et propriétaire du petit observatoire de Juvisy, dans l'Essonne, Camille Flammarion - qui était en outre le frère de l'éditeur Ernest Flammarion - disposait de moyens adaptés à la diffusion de ses convictions. Adepte fervent du progrès par la science, vulgarisateur de talent, il publia en 1880 une Astronomie populaire, best-seller de l'édition de l'époque, régulièrement réédité jusqu'à nos jours.
Le second protagoniste, Percival Lowell, était l'héritier d'une riche famille de Boston. Passionné d'astronomie, il était fasciné par les écrits de Flammarion, avec lequel il entretenait une correspondance fournie. En 1894, Lowell fit édifier un gigantesque observatoire à Flagstaff, en Arizona, dont l'objectif principal était l'étude des conditions physiques à la surface des planètes, celle de Mars en particulier.
Civilisation avancée
Cet observatoire fut utilisé pour examiner les « canaux martiens », dont le nombre passa, dans les années qui suivirent, de quelques dizaines à plusieurs centaines, enserrant ainsi complètement la planète. À l'intersection des canaux, de petites taches rondes et foncées, sortes de lacs ou d'oasis, furent même répertoriées. Ce n'était pas tout : l'examen attentif des variations saisonnières des calottes glaciaires des pôles de Mars conduisit en effet Lowell à déclarer qu'une civilisation avancée avait entrepris la construction d'un vaste système d'irrigation, afin de lutter contre la désertification de la planète. Le réseau de canaux aurait permis de tirer profit de la fonte des glaces polaires pour acheminer l'eau jusque dans les régions équatoriales. Quant au phénomène de dédoublement des canaux, il serait le fruit d'une simple précaution en cas de débit excessif !
Illusion d'optique
Si Schiaparelli prêtait une oreille bienveillante aux hypothèses de Lowell, certains de ses pairs n'hésitèrent pas à s'insurger contre de telles assertions. L'astronome ialien Vincenzo Cerulli avait déjà porté un premier coup à l'existence des canaux. En 1896, il avait publié un mémoire, dans lequel il insistait sur l'importance de la physiologie de l'oeil, qui, via le cerveau, pouvait engendrer des phénomènes subjectifs. Cerulli avait du mal à concevoir que les canaux parussent plus nets aux bords qu'au centre de la planète. Il se demanda aussi pourquoi leur taille apparente diminuait lorsque Mars se rapprochait de la Terre.
Son confrère britannique Walter Maunder, spécialiste de l'étude des taches solaires, enfonça le clou. Pour confirmer ce qu'il considérait, lui aussi, comme une illusion d'optique, il entreprit avec des étudiants de la Royal Hospital School, installée à Greenwich, une série d'expériences. Maunder invita ces étudiants à reproduire un dessin de Mars. Lorsque les observateurs étaient proches du dessin, ils reproduisaient un chapelet de taches. Mais, à mesure qu'ils s'éloignaient, ils esquissaient des lignes continues de plus en plus nettes. Ne tenait-on pas ainsi la preuve que, dans des conditions d'observation médiocres, un canevas de taches sombres pouvait s'interpréter comme un ensemble de traits continus ?
En deçà d'une certaine limite, tous les objets, quelle que soit leur forme, apparaissent en effet comme des taches rondes, que l'oeil aurait une tendance instinctive à coordonner en réseaux de lignes droites. De même, les canaux et les oasis observés à la surface de Mars résulteraient en fait de phénomènes oculaires intervenant à la limite de la perception visuelle.
Maunder publia ses résultats en 1904 dans la revue Knowledge, en n'hésitant pas à qualifier les hypothèses de Lowell comme autant d' « incursions dans le royaume des fées ». Ce à quoi ce dernier, agacé, rétorqua qu'un fil télégraphique, observé de près ou de loin, paraissait toujours continu. Il n'empêche : Lowell et Flammarion conservèrent leur audience en raison du contexte de l'époque, qui s'y prêtait tout particulièrement. Les pays industrialisés ne demandaient en effet qu'à croire aux avancées scientifiques, ainsi qu'à l'existence d'une intelligence extraterrestre. Rappelons que, en 1898, Herbert G. Wells publia La Guerre des mondes, ouvrage dans lequel des Martiens envahissent la Terre, et qui rencontra un succès colossal tant il paraissait « réaliste ».
Nouvelle lunette
Dans l'espoir de convaincre les incrédules, Lowell mit à contribution les nouvelles techniques de photographie pour réaliser une série de clichés à partir de 1905. Toutefois, ceux-ci se révélèrent suffisamment flous pour que les protagonistes de cette controverse campent sur leurs positions.
Il fallut attendre l'opposition périhélique de 1909 avant que la polémique commençât à se dénouer, et ce, grâce à un ancien collaborateur de Camille Flammarion lui-même, dénommé Eugène Antoniadi. Ce dernier avait accès à la nouvelle lunette de l'observatoire de Meudon, un instrument de 83 centimètres d'ouverture, contre 22 centimètres seulement pour les instruments de Schiaparelli et de Lowell. Or, plus le diamètre de l'objectif est grand, plus un appareil collecte de lumière, et plus la précision de l'image est importante. Antoniadi scruta attentivement la planète Rouge, dont la surface était alors particulièrement nette. Et ce qu'avait prévu Maunder ne tarda pas à se confirmer : les structures filiformes se divisèrent en de nombreux détails.
Le verdict fut définitif et sans appel lorsque, en 1965, la sonde Mariner-4 survola Mars et photographia de près l'ensemble de sa surface : aucune trace de ces canaux ne fut observée. Quant aux canyons, ravines et autres vallées sinueuses que les sondes américaines et européennes ont révélés par la suite, ils n'ont rien à voir avec le travail d'une civilisation évoluée. Un liquide, de l'eau sans doute, a coulé jadis sur Mars, mais l'origine du phénomène est entièrement naturelle".
Par Marie-Christine de La Souchère