Ce voyage à Auxerre a d’abord été l’occasion d’une belle rencontre, celle de Ginette, l’assistante de M. Vaissaire, que je remercie de son accueil chaleureux et de la confiance qu’elle nous a accordée en nous ouvrant sa porte. Bien que retirée depuis de nombreuses années de l’univers de la haute fidélité, Ginette en parle toujours avec une grande compétence et ses souvenirs sont d’une grande importance pour tous ceux qui portent un intérêt à l’histoire de la haute fidélité.
Cette rencontre fut l’occasion d’évoquer le passé glorieux d’Audiotec et de « son chef ». La petite entreprise, qui ne comptait que quelques salariés, produisait des systèmes complets : tables de lecture, préamplificateurs, amplificateurs, égaliseurs graphiques et bien sûr enceintes acoustiques, dont l’ELSTAT, objet de ce compte rendu, est l’aboutissement. Marcel Vaissaire, bien qu’autodidacte, maitrisait toute les compétences utiles à la mise au point de systèmes hifi parmi les plus perfectionnés du moment. De plus, comme tous les grands noms de l’electro-acoustique de l’époque, il entretenait un rapport d’intérêt étroit avec la musique naturelle et la prise de son, comme en témoigne notamment la création du label Sarastro.
Marcel Vaissaire, au temps de son activité, était une personnalité admirée et respectée dans le monde de la hifi. Gilles Poirier, preneur de son et homme de radio canadien, recommandait vivement, en 1973, dans son Guide de la haute Fidélité (1), le modèle E-65N. Il écrivait que cette enceinte était « ce qu’il avait entendu de plus beau » et la plaçait au dessus des Radford, Quad et Tannoy de l’époque. Avec le temps, Festival du son après Festival du son, cette réputation s’est affirmée. Ginette explique avec délices que Marcel Vaissaire servait de faire valoir à ses fournisseurs dont les composants étaient parvenus à passer les tests de sa sélection austère. Si le patron d’Audiotec passait commande, alors la concurrence suivait et le succès du produit était quasi assuré.
Le modèle écouté est la dernière version de l’ELSTAT (photo n°1). Il s’agit d’une enceinte deux voies. La première version, celle dont la photo figure sur le site retraçant l’histoire de la marque (2), était équipée en plus d’un tweeter (photo n°2). Par la suite, Marcel Vaissaire reconsidérât cette option, en même temps qu’il remplaçât le grave médium de 24cm, par un modèle de 21 cm d’origine Audax, car ce dernier, selon lui, descendait plus proprement en fréquence. Lors de l’écoute, nous ne lui donnerons pas tort ! L’ELSTAT, panneau electro-statique de petite dimension, conçu et usiné par Marcel Vaissaire, assure donc la retranscription du haut médium et de l’aigu jusqu’à 22kHz. La transition entre les deux voies se situe à 800Hz. Les amplis assignés à chaque haut parleur sont fixés à l’arrière du caisson clos. Le tout était commercialisé au tarif raisonnable de 6000 francs. Cette somme correspond environ à 2850 euros actuels.
Les enceintes sont disposées au sein d’un salon standard de bon volume : environ 120m3 pour un peu plus de 40m2 au sol. Le triangle d’écoute retenu était vaste (un sommet situé à environ 4,5m de distance, pour un écartement supérieur à 3,5m). Le test auquel nous avons soumis cette enceinte au gabarit réduit était difficile.
A l’écoute, nous pouvons noter une belle ampleur. L’image est pleine, sans trou au centre, et couvre toute la largeur de la pièce. La scène sonore est cohérente, les sources sont bien placées, même si, globalement elles apparaissent comme un peu larges. Sans être très prononcé, l’effet de relief est bien présent et l’étagement des différents plans sonores bien perceptible. Ces caractéristiques doivent bien entendu être appréciées en tenant compte du contexte exigeant décrit plus haut.
Les aspects les plus remarquables, pour ne pas dire exceptionnels, de cette écoute se situent au niveau de l’équilibre et du naturel de reproduction. Le grave est tendu, sec, jamais insuffisant, jamais proéminant. Evidemment, le boomer ne descend pas très bas avec du niveau, mais cela n’est pas vraiment gênant sur les plages écoutées, qui ont pour point commun d’être des prises de son en acoustique naturelle, de musique non amplifiée. Ainsi, même l’orgue, pourtant raboté d’une partie de son soubassement, reste convainquant. Le médium et l’aigu sont bien définis, mais aucune agressivité, aucune gêne liées à ces fréquences n’a été ressentie. La fusion entre les deux voies est parfaite, tout comme l’équilibre subjectif entre les fréquences. La musique est fluide, douce mais sans excès. Non seulement le haut parleur s’efface en tant que point source, mais en plus ne se fait pas entendre par de la distorsion. Bref, la musique sonne vrai, les timbres sont d’une grande justesse : l’impression qu’une fenêtre s’ouvre sur la réalité du concert est saisissante.
Cette expérience démontre qu’une enceinte conçue à la toute fin des années 70, peut rester, 35 ans plus tard, dans la course voire, sur certains critères, franchir la ligne d’arrivée dans le petit groupe des vainqueurs. Elle démontre également que la hifi est le produit conjugué de compétences techniques et d’un talent personnel. Assurément, Marcel Vaissaire ne manquait ni des unes, ni de l’autre.
(1) Les éditions de l’homme, Montréal, 1973
(2)
http://haute.fidelite.com.online.fr/audiotec/page1.html