» 20 Mar 2015 17:06
je ne sais pas vous mais j'ai un livre culte, qui ne quitte jamais la table de nuit, que je relis une fois l'an, quand je desespere de la litterature.
pour moi c'est un james crumley
Le dernier baiser. De James crumley. Traduction philippe garnier.
ISBN : 2070307239 Éditeur : Gallimard (2006)
« Quand j'ai finalement rattrapé Abraham Trahearne il était en train de boire des bières avec un bouledogue alcoolique nommé Fireball Roberts dans une taverne mal en point juste à la sortie de Sonoma, en Californie du Nord ; en train de vider le cœur d'une superbe journée de printemps. »
Ainsi commence « le dernier baiser » et aux grandes œuvres, une grande première phrase ; voyez proust et la recherche, flaubert et salambo.
Au hasard…
C’est dire le monument qu’est ce roman noir de crumley, son troisième livre, et assurément son meilleur.
Le personnage de sughrue étais déjà apparus dans une nouvelle qui le voyais, un soir de cuite, transporter le juke box de son bar favoris sur les rails de la ligne de chemin de fer et attendre qu’un train le pulvérise en écoutant la musique. Voyez le genre...
Car CW (son petit nom) est détective privé, sans ambition ; il fait dans les chèques du crédit forestier, les histoires de corne cul, les maris partis en bringue, des histoires minables, mais qui le font vivoter. Il reçoit l’appel d’une femme lui demandant de retrouver son ex-mari, Abraham Trahearne, un écrivain un peu trop porté sur la bouteille qu’elle soupçonne être en train d’agoniser dans un bar quelconque de l’Ouest américain. Mais quand Sughrue le retrouve dans un petit bar miteux de Californie, une querelle d’ivrognes envoie Trahearne à l’hôpital. Rosie, la patronne du bar, profite alors des quelques jours dont dispose Sughrue pour lui confier une nouvelle mission : retrouver Betty Sue, sa fille de dix-sept ans disparue à San Francisco dix ans plus tôt…
Et c’est partis pour 400 pages ou on vas rouler (énormément), rire (beaucoup), picoler (a mort), sniffer (un peu), baiser (pas mal) et mourir…
On retrouve LE thème par excellence de la littérature américaine : la route, qui trouve son origine dans son texte fondateur, le journal de Lewis et Clarke . Cette route qui sera le fil rouge de la recherche (quête?) de Betty Sue. Et puis l’amour, l’amour fou, tragique, celui qui conduit au bout, jusqu’à la mort.
Tout est « bigger than life » chez les personnages de crumley, comme il l’était lui-même. L’écriture est extraordinaire, dans un style unique auquel la traduction magistrale de Philippe Garnier donne tout son sens et son sel. A la première lecture cela semble foutraque mais de fait l’écriture est ciselée, précise, d’une fabuleuse justesse.
« Et elle est partie d’un rire profond et élégant, une sonorité riche et précieuse, un peu comme un vison qu’on trainerait sur un escalier de marbre. »
« C’est ce qu’il y a de bien avec la Californie : tout le monde en a un grain, et il faut être complètement cingle pour attirer l’attention. »
« Quand même les barmen se mettent à perdre leur sens du romantisme, il est grand temps de changer de monde. Ou au moins de bar. »
« Mon passé m’apparaissait comme autant d’excédent de bagages, mon avenir comme une longue série d’adieux et mon présent comme une flasque vide, la dernière bonne lampée déjà amère sur la langue. »
Les dialogues sont hilarants, les sentences assenées toutes dignes de figurer dans une anthologie du bon mot :
« Je me suis calmé avant d’avoir à arrêter pour de bon. Maintenant j’essaye de garder toujours deux verres d’avance sur la réalité et trois verres de retard sur la biture. »
« - Vous êtes pas marie vous ?
-Jamais été.
-C’est bien ce que je pensais. Vous êtes pas assez compliqué, pourriez pas survivre. »
« Chez soi, j’ai fait, c’est là où on pose sa gueule de bois. »
Bref, précipitez-vous sur ce livre d’un romantisme désespéré au lyrisme flamboyant camouflé sous une bonne couche de rigolade ; vous y rencontrerez des personnages qui vont vous accompagner longtemps, voir pour toujours. Pour ma part, je le relis une fois par an.
Depuis 25 ans.
Pour approfondir :
Romans de la série C.W. Sughrue
1. Le Chien ivre (The Last Good Kiss, 1978) Fayard (1980). Réédition avec une nouvelle traduction Le Dernier Baiser, Trophée 813 de la meilleure réédition 1987, 10/18 n°1796 (1986)
2. Le Canard siffleur mexicain, Dashiell Hammett Award 1994 (The Mexican Tree Duck, 1993) Gallimard "La Noire" (1994).
3. Les Serpents de la frontière (Bordersnakes, 1996) Gallimard "La Noire" (1996)
4. Folie douce (The Right Madness, 2005)
Romans de la série Milo Milodragovitch
1. Fausse piste (The Wrong Case, 1975) Christian Bourgois (1988), Prix Mystère de la Critique 1989
2. La Danse de l’ours, Shamus Award 1984 (Dancing Bear, 1983) Albin Michel "Spécial suspense" (1985)
3. Les Serpents de la frontière (Bordersnakes, 1996) Gallimard "La Noire" (1996)
4. La Contrée finale (The Final Country, 2001) Gallimard "La Noire" (2002).