» 12 Mar 2006 21:27
Philippe, est-ce si difficile de faire ce type d'enregistrement ?
Ce n'est pas plus difficile que de faire de la peinture...
... une toîle, des pinceaux, de la couleur et un sujet...
... mais comme la peinture, le talent ne suffit pas, surtout si on veut aller vite. Il gagne à être enrichi d'un séjour auprès de grands maîtres.
Le temps et la pratique sont des données très importantes et sans doute un peu de talent quand même.
Pour ma part, j'enregistre depuis l'âge de douze ans et je vais en avoir cinquante-trois. L'obsession a toujours été la même mais ce qui a été ma chance, ce sont les rencontres avec des gens qui m'ont beaucoup aidé. Il y a l'amitié de Bernard Neveu que je fréquente depuis vingt-trois ans, avec lequel je discute plusieurs fois par semaines et qui m'a servi de maître d'apprentissage.
Il y a eu Georges Cabasse et François Bellec (son poisson pilote). En fait, j'ai eu la chance de naître assez tôt pour fréquenter des gens qui avaient une grande culture et qui connaissaient à la fois la technique et l'art (lisez G-A Briggs et vous aurez compris combien ces gens étaient brillants et admirables, au sens littéral du terme).
Pour le reste, il faut surtout des acoustiques adaptées à ce que l'on enregistre et surtout, savoir précisément ce que l'on doit obtenir. Il faut donc être très imprégné de la musique que l'on enregistre et surtout comprendre l'intention du musicien car nous sommes là pour servir réellement la musique et l'artiste.
Le matériel ne vient qu'après mais il ne faut pas croire qu'il suffit de posséder des micros et le reste pour s'en sortir. Il faut connaître les réactions du matériel par coeur et ça prend parfois des années si on est perfectionniste. Il faut aussi bien comprendre qu'on évolue dans un monde en 3D qui va finir pratiquement en 2D et c'est cette perte qu'il va falloir gérer le mieux possible. Le mental fait tout. L'enregistrement transforme la réalité mais doit la trahir le moins possible (dans le cas de l'enregistrement naturel). Il faut donc prévoir tout ce qui va se passer et appréhender notre environnement dans les deux dimensions avant même d'avoir déballé ses micros. Là où l'on reconnaît un preneur de son qui a du métier, c'est quand il arrive. Pas besoin de frapper dans les mains, pas de bruit. Il sent la salle, sort son matériel, le branche et n'a plus qu'à attendre les artistes. En général, il ne modifiera la position de ces micros que de quelques centimètres et encore, souvent c'est pile poil où il faut. A ce stade, seul le réflexe et la culture comptent et moins les technologies. Quand on enregistre, il y a donc un facteur de transformation de l'espace et la théorie seule ne peut rien ou pas grand chose. Je parlais de la peinture; on pourraît parler de photo ou de film. Le matériel ne fait pas l'intérêt d'une image.