La musique de Chostakovitch est très variée. Tout n'est pas si rude d'accès que cela et certaines oeuvres, très mélodieuses, sont même des standards de la musique instrumentale occidentale.
Il n'est qu'à penser à la célèbre valse numéro 2 de la deuxième suite de jazz (jazz, prononcé "djasse", c'était, en URSS, la musique populaire et non le jazz à l'américaine). C'est l'indicatif publicitaire d'une célèbre compagnie d'assurances et le générique du dernier film d'un immensissime cinéaste

On peut aussi citer l'orchestration de la chanson "Tea for two". Le chef d'orchestre Alexandre Gaouk avait mis Chostakovitch au défi de la réaliser en une heure maximum après avoir auditionné la chanson une seule fois.
Il y a aussi la musique du film "Le Taon", avec notamment la fameuse romance (thème au violon).
Ces œuvres sont de la musique de divertissement très agréable à écouter, surtout en cette période de Noël.

Certains morceaux dégagent une atmosphère féerique attendrissante, à la Casse-Noisette.
Dans le même genre, il y a aussi l'opérette Moskva-Tcheriomouchki, dont une suite orchestrale a été tirée et un grand nombre de musiques de film ou de scène très réussies.
La musique des ballets de Chostakovitch part un peu du même esprit : l'Âge d'or, le Boulon.
Pour ce qui est des symphonies, ce sont souvent des œuvres à programme à deux niveaux de lecture. Certaines sont cependant des œuvres plus intellectualisées, comme la 4e, la première grande symphonie de Chostakovitch. Elle est certes d'un abord plus difficile que la 5e, mais elle doit être connue. À noter qu'elle avait été écrite entre 1936 et 1938, mais que Chostakovitch en avait caché la partition après la célèbre affaire de Lady McBeth. Lady McBeth était le 3e opéra de Chostakovitch (et le second achevé). C'est une histoire d'adultère tragique qui se solde par la mort du mari, de la femme et de l'amant. C'est un des grands opéras du XXe siècle, AMHA. Mais, bien qu'il triomphait à Léningrad et à Moscou, un article incendiaire paru dans la Pravda après que Staline a vu l'opéra a relégué Chostakovitch au rang des compositeurs "formalistes". En URSS, à l'époque, cela pouvait aussi bien signifier la mise à l'index des commandes publiques (donc le chômage...) pour les plus chanceux que de finir avec une balle dans la tête pour les plus malheureux. Krzysztof Meyer raconte, dans la biographie qu'il a consacrée au compositeur, que depuis ce temps, Chostakovitch tenait toujours prête une valise avec des effets personnels au cas où on viendrait le réveiller en pleine nuit pour l'emmener au goulag.
La 4e symphonie n'a pas été la seule œuvre secrète de Chostakovitch écrite avant la guerre. Son 1er concerto pour violon, dédié à David Oïstrakh, date également de 1938, mais n'a été créé qu'après la mort de Staline. C'est un concerto vraiment très beau. Son point culminant est le 3e mouvement (il y en a 4 et non 3 comme il est de coutume). C'est un mouvement en forme de passacaille : les cordes graves grondent un thème oppressant, tragique, sur lequel s'édifie le reste de la musique. Le mouvement s'ouvre sur une fanfare funèbre impressionnante puis la musique se fait solitude. C'est une page très poignante, qui s'achève par la très longue cadence du soliste, qui fait le raccord avec le final. D'abord, le violoniste fait murmurer son instrument, très doucement et très lentement. Puis, il s'anime, se rebelle, devient féroce et alors éclate le final tourbillonnant. Il faut entendre Oïstrakh dans ce concerto : il l'a gravé de très nombreuses fois avec plusieurs chefs et orchestres. Lydia Mordkovitch, une élève d'Oïstrakh, le joue également très bien, avec Neeme Järvi et l'orchestre royal d’Écosse.
Dans le registre concertant, le 2nd concerto pour violoncelle, dédié, comme le premier, à Rostropovitch, est également essentiel, mais moins facile d'accès.
Après la déstalinisation, Chostakovitch a eu moins de problèmes avec les politiques de son pays, mais sa musique est demeurée imprégnée d'un étrange mélange d'accablement, de résignation et de révolte souvent teinté d'ironie, voire de grotesque.
Je trouve pour ma part stupéfiante la 11e symphonie dont a parlé fredicole. Elle comte en musique les événements marquants de la révolution avortée de 1905. On en parle souvent comme d'une musique de film sans film, tant le pouvoir d'évocation de cette symphonie est grand. Le premier mouvement est statique, sur le "thème du palais". Ce mouvement représente la manifestation pacifique menée par le pope Gapone sur le place du Palais d'Hiver et l’inébranlable sclérose du régime impérial russe. La musique parle de l'attente, non sans une certaine ferveur, et de désespoir. Puis, survient la brutale répression. C'est le second mouvement, extrêmement martial, qui culmine sur une marche écrasante, dévastatrice et terrifiante dans laquelle les percussions se déchaînent, les cordes poussent des cris d'effrois stridents, les cuivres hurlent à l'hallali dans d'effarantes dissonances. Accalmie, désolation, puis s'enchaîne le 3e mouvement, en mémoire des victimes. Il est construit sur une poignante marche funèbre. La douleur est enfoncée comme un clou dans le cœur de l'auditeur par les timbales et les trompettes jouant de concert. Enfin, le 4e mouvement sonne l'heure de la révolte. L'agitation de l'orchestre est à son comble, les citations de chants patriotiques et révolutionnaires se succèdent les unes aux autres sans aucun effet de collage intempestif (ce n'est pas la moindre gageure de cette symphonie). Mais alors que l'on croyait que la lutte trouverait sa résolution, resurgit brutalement le thème du palais qui s'achève sereinement à la flûte et à la harpe. Puis... après cette fausse fin, c'est le final. Brutal dans sa puissance, ambigu dans sa signification. S'il existait une représentation d'un cyclone en musique, ce passage pourrait bien l'être.