blue dream a écrit: Je n'ai pas de percussionniste assez rapide sous la main (bravo aux musiciens qui font des prouesses en jouant les partitions de Gilles)
Il s'agit de l'ensemble "Les Percussions de Strasbourg"… cela explique la virtuosité…
blue dream a écrit:1. la séquence percussive d'origine, encore mélodieuse et très "musicale",
2. la même séquence env. 3 fois plus rapide,
3. toujours la même séquence, presque 200 fois plus rapide : cela devient quasiment du "bruit",
4. après transposition à l'octave et mise en boucle, on obtient ce son presque continu que j'ai évoqué.
La question : a-t-on franchi, oui ou non la limite de l'espace musical ?
En fait, la boucle est bouclée puisque ce "son" peut à nouveau servir de matériau de base pour revenir à une musique "traditionnelle", comme le montre ....
5. ... le cinquième extrait. Pour faire plaisir à Grifield, j'ai choisi d'utiliser ce son pour jouer le début du Quatuor 14 de Mozart (j'espère que Mozart n'est pas connecté à ce forum).
…quel est votre avis sur cette notion de limite entre musique et non-musique, et d'une manière générale, que vous inspire mon exemple ?
Ce que tu as fait là "blue dream" c'est de la généreation de matériaux sonores. C'est ce qu'un compositeur électroacoustique fait en studio dans la phase de recherches d'éléments sonores. Pour une œuvre de 20 mn, il lui en faut environ 1000 à 2000, c'est mon cas.
Dans cette phase de préparation, les éléments ne sont pas de la "musique" mais des "objets musicaux". Ce sont des sons, plus ou moins complexes, avec des caractéristiques précise pour l'oreille de tout compositeur électroacoustique. Ces caractéristiques (appelés critères) sont par exemples : sa granulosité (micro-structure caractéristique de sa matière, comme en photographie pour l'image…), sa masse (son mode d'occupation dans les registre des hauteurs), son animation (allures, oscillations, texture rythmique, texture corpusculaire…), son profil dynamique (attaque, entretiens, chute), son timbre harmonique.
Mais là, nous sommes toujours dans le "sonore". Nous ne sommes pas encore dans la musique (il y a des cas ou les éléments sont générés musicalement… mais ne compliquons pas). La "musique" arrive au moment du choix et de l'articulation (modes de successions, superpositions) des objets entre eux. Là, se pose le problème de l'écriture, de l'invention musicale, de la tenue d'un discours musical. Les éléments sonores sont comme des lettres de l'alphapbet ou des mots simples… la construction de phrases avec la ponctuation constitue les débuts de l'art de la composition. En même temps se pose les questions de "forme", les solutions de développements avec les stratégies de tenir en écoute l'auditeur virtuel, par les tensions, les surprises, les anticipations… bref tout une conscience que l'on pourrait appelée "rhéthorique".
Tes exemples sont intéressants parce qu'ils montrent un processus à différents degrés de profondeur d'effets. On peut aller à la légère coloration à une anamorphoses complète de l'objet sonore de départ. Et en numérique (depuis une vingtaine d'années), on peut considéré chaque nouvel objet résultat comme base initiale de toute une chaine de nouveaux traitements. Cette richesse et cette puissance de moyen, n'a pas comme issues de rechercher à retrouver une articulation simulant l'écriture classique (surtout un Quatuor de Mozart), mais plutôt de phraser les objets en considérant tous les critères de leurs dimensions sonores. Cela peut demander à l'auditeur une écoute qui n'attende plus forcément l'échelle des hauteurs tempérés dans un débit de temps strié par la mesure à 3 ou 4 temps… mais d'autres relations dans des vitesses beaucoup plus rapides ou beaucoup plus lentes ou très irrégulières…
blue dream a écrit:Questions subsidiaires :
- parmi les médicaments que vous préscrivez, quels seraient les 2 les plus indispensables (pour commencer...)
Je crois que je conseillerais d'abord d'écouter le CD de Ligeti pour l'œuvre "Lontano" pour orchestre. Une œuvre nourrie par l'expérience du studio et par l'exploration de tissus sonores à progression lente. C'est déjà du grand "classique". Puis il y a son Requiem aussi…
Pour le deuxième… beaucoup d'hésitation… aller, je te conseille plutôt "Stop! l'horizon, Profil-désir" de Christian Zanési. Pour donner le nom d'un compositeur d'une génération plus récente et parce que c'est en rapport avec tes exemples et mes tentatives de réponses… Et que cela sonne très bien sur un bon système, dans une écoute avec un bon niveau.
Sinon… il y a de bons disques avec "Les Percussions de Strasbourg" comme interprètes…
blue dream a écrit:- comment arrive-t-on à sortir des schémas harmoniques pour créer cette impression de non-mélodies, de non-accords, dans vos partitions ?
Le travail harmonique dans mes pièces utilise deux types de procédures.
- Le travail à base d'accords d'environ 8 accords de 5 à 8 notes, qui sont démultipliés entre eux par la techniques des multiplications d'accords. Par ce moyen j'obtiens des agrégats de 25 à 64 notes. Ces complexes sont soit simplifiés (j'utilise beaucoup le piano pour tester), soit manipulés par des filtrages, des interpolations… (là, ça devient incompréhensible… ). Bref, cela donne des harmonies denses tout à fait contrôlables (à l'oreille) et modulables (à l'écriture).
- L'autre approche est basée sur le travail "spectral" du son. C'est à dire que je peux générer (par un logiciel) abstraitement des spectres de sons ou analyser les spectres de sons enregistrés et opérer des transformations sur ces spectres. Le spectre est la superposition de l'ensemble des fréquences et des intensités de tous les sons sinus qui constituent le son généré ou analysé.
Là aussi, il y a un champ très large d'articulations de ces spectres, impossibles à détailler ici.
Ces deux procédures se retrouvent exercées à l'identique pour le travail de traitemenst ou de synthèses des sons pour les parties électroniques (ou électroacoustiques), bien sûr avec des logiciels audio.
Dans mon travail, il y a toujours un contrôle harmonique. Ces techniques d'écritures sur des complexes harmoniques peuvent te donner l'impression de non-accords, parce qu'il ne sonnent plus comme accord justement, mais comme "son" avec une couleur harmonique. Dans "Subgestuel" beaucoup de sons ressemblant à des cymbales sont des accords. On peut le vérifier au piano avec 6 à 8 mains d'ailleurs (en ayant la notation devant les yeux).
Pour la non-mélodie… c'est un autre problème. Pour ma part je ne conçois pas mon travail par des mélodies mais plus généralement par des profils mélodiques qui n'utilisent pas le principe de la tonalité (mais qui ne l'ignore pas non plus), pour d'autres modes de toutes façons associés aux matériaux sonores (voir plus haut).
Il faut que tu écoutes aussi les musiques récentes et que tu essaies les concerts de musiques utilisant des nouvelles techniques de sons, par exemple les concerts de l"ensemble "L'itinéraire" ceux de l'IRCAM et du GRM.
En tout cas d'après ce que tu nous fais entendre, tu as fais un pas significatif vers le son. Tu devrais trouver beaucoup de plaisir et du bonheur à chercher de ce côté là !
J'ai eu plaisir à te répondre. j'espère que mes réponses te paraîtront claires.
Merci de me les avoir posées, même si j'ai eu un peu de mal à trouver le temps d'y répondre.
À bientôt "blue dream".
Bien cordialement.
Gilles