gailuron a écrit:haskil a écrit:Ces enregistrements de Nat sont essentiellement du début des années 1950 : à l'exception du concerto, du Carnaval de Vienne et peut-être aussi d'une version des Scènes d'Enfant qui datent d'avant guerre).
Mais gare, toutes les rééditions ne sont pas égales en qualité. La dernière est la meilleure : dans le coffret noir qui reprend l'intégralité de ses enregistrements dont les Sonates de Beethoven enregistrées elles aussi dans les années 1950 jusqu'à la veille de sa mort. Le preneur de son était André Charlin et le directeur artistique des enregistrements le compositeur Antoine Duhamel qui sera le compositeur de Godard, Truffaut, Tavernier... et gardait chez lui le queue de concert Steinway utilisé pour les sonates de Beethoven... imposé à Nat par le patron des Discophiles Français de préférence au queue de concert Erard qu'affectionnait Nat...
Jusqu'où fais-tu remonter le techniquement acceptable ? Jusqu'à la gravure mécanique de la prise de son initiale ? Es-tu sûr qu'il n'y a pas un biais affectif dans ton appréciation parce que tu as découvert ces enregistrements dans ta prime jeunesse ?
Ces vieux enregistrements d'avant la fin de la décennie 1950 ont sans doute un intérêt musicologique. Mais, pour ce qui est de l'émotion, ça ne le fait pas, vu la perte d'informations par rapport au réel.
Cela me rappelle un peu le débat sur la musique contemporaine atonale, une musique qui, souvent, suscite plus l'émotion intellectuelle du lecteur de la partition que celle de l'auditeur qui n'a pas été formé à la composition
C'est un sujet passionnant que tu évoques là qui est d'essence esthétique... la musique est du son et aussi un langage. On pourrait rappeler le célèbre "combat" pour savoir si l'opéra est d'abord la parole ou d'abord la musique...
Et même ainsi : un piano enregistré avec tout le confort moderne est-il obligatoirement plus fidèle qu'un autre enregistré au temps du 78 tours avec un spectre de fréquence limité dans le haut du spectre et en monophonie ?
La réponse est non... et quantité de disques modernes sont à peu près inécoutables en raison d'un son abominable qui fait saigner les oreilles...
Je découvre encore dans le cadre de mes recherches sur le sujet des enregistrements très anciens remontant à la toute fin du 19e et au début du 20e... et je fais nettement la différence entre ce qui revient à la musicologique et à l'émotion purement musicale...
Pour ma part, je suis né à la musique devant un piano quand j'avais 5 ans et ça correspondait avec l'essor de la stéréophonie et les disques à la maison pendant mes études musicales étaient essentiellement des enregistrements modernes mono et stéréo dont Kempff, Arrau, Haskil, Anda, Gieseking pour ne parler que piano.
Pour ce qui est de l'émotion : le pianiste qui sera plus émouvant plus déterminant dans les Préludes de Chopin qu'Alfred Cortot, que Fischer dans les Impromptus de Schubert... et pourtant les prises de son de ces disques remontent aux années 1930...
Au-dela de la façon dont un enregistrement est fixé, il y a la prise de son et tout ce qui est fait par les techniciens entre les micros et la bande ou le fichier... et là, le preneur de son peut tuer un interprète avec tout le progrès moderne pour allié... ou il peut mettre le micro au bon endroit et capter l'essence même du jeu d'un artiste...
C'est ainsi que le piano de Cortot est mieux capté en 1933-1934 que celui de Vladimir Ashkenazy dans les mêmes préludes de Chopin dans les années 1980... ce qui accentue la différence entre un des plus grands pianistes de tous les temps et un seulement grand pianiste... Les études de Chopin par Pollini enregistrées en 1972 sont nettement moins bien enregistrées sur le plan esthétique que celles de Cortot en 1933... Pollini lui-même n'aime pas le son de son disque et il est fou du jeu de Cortot... il dit "je n'aime pas entendre les petits marteaux"...
Je viens de donner une conférence sur Chopin et Rachmaninov musiciens en exil au Festival Chopin à Nohant chez George Sand : j'ai fait écouter deux enregistrements de Serge Rachmaninov lui-même enregistré en 1941 dans le mouvment lent et le finale de son 4e Concerto ; des auditeurs sont venus me voir après la conférence pour me dire qu'ils avaient été stupéfaits par la présence, la force qui se dégageaient du son du piano... pourtant les 78 tours RCA sont bruyants...
C'est un sujet inépuisable...