Je ne mets pas ça sous spoiler, vu que je n'entre pas ici dans les détails de l'intrigue du film.
Je n'utiliserais pas forcément l'expression pervers narcissique pour désigner Fletcher. Déjà, l'expression est actuellement mise à toutes les sauces. Ensuite, Fletcher n'est pas totalement narcissique. Ce qui le motive, c'est une cause au centre de laquelle il ne se place pas (il se considère uniquement un maillon), le jazz. Ça n'est pas la vanité qui est au centre de ses préoccupations.
Il y a eu pas mal de chefs de groupe ou d'orchestres obsédés par la perfection et assez peaux de vache si quelqu'un n'était pas à niveau. Pour James Brown, il y a carrément une vidéo où il fait un geste de la main et sourit, parce qu'il se rend compte qu'il a loupé un pas de danse, donc qu'il s'inflige une amende à lui-même. Artie Shaw, le clarinettiste, était du même genre perfectionniste et pinailleur (à noter qu'il a été marié huit fois, et dans la liste il y a quelques noms connus comme Ava Gardner, Lana Turner ou Evelyn Keyes, la sœur de Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent), et c'est d'ailleurs lui qui a découvert Buddy Rich (qui est ensuite parti jouer pour Tommy Dorsey). Buddy Rich était apparemment plus du genre grande gueule que mordant, vu qu'il n'a pratiquement jamais viré de membre de son orchestre. D'après Wikipédia, le chanteur Mel Tormé lui avait rendu visite à l'hôpital la veille de sa mort, et Rich avait envie d'écouter les cassettes de salves d'injure que Tormé avait dans sa propre collection, plus pour se rappeler de bons moments que pour péter à nouveau une durite.
Ce qui est un peu curieux dans le film, c'est qu'il n'y a pas de mention d'un des rivaux de Buddy Rich à la grande époque, Gene Krupa (le batteur de Benny Goodman). Lui, côté perfection mécanique, c'est quand même l'auteur du solo monstrueux sur "Sing, Sing, Sing (With a Swing)", notamment sur le concert au Carnegie Hall. Stanley Kubrick voulait devenir batteur de jazz quand il était ado à cause de Gene Krupa (il l'a photographié ensuite, tout comme Rich, quand il faisait des reportages pour Look).
Et Buddy Rich a également donné des leçons de batterie à un jeune tout chétif de 14 ans qui avait besoin de gagner de l'argent pour la famille, Mel Kaminsky, plus connu sous le nom de Mel Brooks.
Scudabear a écrit:Etant (très) modeste batteur amateur, ce film apparait à mes yeux comme un incontournable. Mais ce qui m'intéresse surtout, c'est que le classique canevas des relations amour/haine entre un professeur renommé un un élève "hyper-doué mais qui paye pas de mine" soit justement appliqué à cet instrument à l'apprentissage difficile.
Ca augure d'un cocktail savoureux, même si on se doute de ce qui se passera à la fin.
Un des grands mérites du film, c'est qu'il est justement imprévisible. Le coup du professeur bougon et tyrannique qui dégrossit en fait un talent prometteur, c'est quand même LE ressort de pratiquement plein de films produits par Simpson et Bruckheimer dans les années 80, ou bien avec Tom Cruise : Officier et Gentleman, Top Gun, Cocktail... Même un film qui avait été apprécié à sa sortie (et que je considère comme un navet), Le Maître de musique, de Gérard Corbeau, appliquait exactement les mêmes ficelles de scénario. Là, la relation est beaucoup plus complexe et ambiguë. On ne peut mettre ni le prof ni le jeune dans des cases trop simples.
S'il y a un film auquel Whiplash m'a fait en fait penser, c'est un téléfilm peu connu de Fellini, Répétition d'orchestre (la dernière œuvre sur laquelle il ait travaillé avec Nino Rota), qui commence comme un reportage télé, et qui est perturbé par les différentes groupes de musiciens qui se mettent les uns après les autres en grève à cause de l'attitude du chef, et ça dégénère. Tout le film se passe dans la salle de concert ou dans les loges, c'est aussi une métaphore sur l'Italie de l'époque, avec une dernière scène qui est extrêmement ambiguë et qui met mal à l'aise.