haskil a écrit:Gilles, y-a-t-il ne serait-ce qu'une once de musique dans les partitions de Brian Ferneyhough...
Alain, je dois t'avouer que j'ai hésité beaucoup avant de répondre à cette question… car ne rien dire c'est consentir absolument. Et en parler, c'est prendre le risque d'être long.
Par respect pour tout travail d'artiste, même si je suis très circonspect comme toi, au sujet des compositions de celui-ci, je me dois d'être assez précis… et argumenter ma position vis à vis de ce courant musical. Courant musical, oui, parce que Brian Ferneyhough est chef de file, un des compositeurs qui a derrière lui un nombre effarant d'élèves et d'épigones. C'est d'ailleurs cela qui me pousse à répondre. Sans oublier que lui-même a la dent dure sur ses confrères (peut-être un peu moins maintenant).
Tout d'abord, je n'ai pas écouté toutes les œuvres de Brian Ferneyhough, mais dans celles que j'ai écouté il y en a quelques une qui m'ont intéressé :
- d'abord "Funérailles I et II", que je connais par la version dirigée par Pierre Boulez (ceci explique peut-être cela) CD Erato.
- les "Carceri d'invenzione I et II" pour ensemble, et ensemble avec flûte
- et "Superscriptio"pour piccolo.
Pour moi, je dois te dire, Alain, que les musiques de Brian ferneyhough en général sonnent plutôt comme de la musique "pépére". Du "contemporain" bon teint, malgré la réputation de haute complexité qu'ont ces œuvres.
À l'écoute, il n'y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Mais, il y avait dans ces œuvres là, un propos musical évident. Le registre du piccolo dans "Superscriptio" apportait une couleur peu entendue…
Par contre, et là je te rejoins et rejoins Zygel, c'est que cette relative complexité, est sur la partition notée de façon complètement illisible. Et pour les pièces pour solistes c'est encore pire. C'est là que se trouve le problème…
La notation rythmique n'est que valeurs irrationnelles dans valeurs irrationnelles, dans variation de tempo… Les modes de jeux s'articulant sans cesse, des nuances impraticables ou insignifiantes pppp<ppp dans un registre où le simple p est déjà très difficile…
Bref, l'exemple de la composition qui ne tient pas compte du son, mais n'est que la simple satisfaction des jeux abstraits de manipulations de séries. De nouvelles manipulations (ce n'est plus celles de Boulez et de Stockhausen) inventée par Brian Ferneyhough.
Dans ses présentations d'œuvres, toutes ses pièces sont "conçues" par ces spéculations abstraites (rythmes, accords, modes de jeux, nuances…) par couches… sans jamais la sanction de l'efficacité et ni la justification sonore.
Cela donne une écriture "injouable", tous les paramètres solfiables sont disjoints. Il faut que le musicien qui prépare l'œuvre, travaille couche après couche. Tout signe devient bloquant musicalement. La sortie ! Faire quelque chose d'approchant …
Pierre-yves Artaud, qui a enregistré ses œuvres pour flûte, a fait sur le même disque deux versions d'interprétations, comme tout n'est pas réalisable en même temps il a fixé ses solutions. Pierre-Yves Artaud dit que cette situation en concert met le musicien dans un état particulier… une bagarre ou rien n'est prévisible…
F. B. a repris cette vision pour sa défense… et tous ses élèves aussi… Cela donne des pièces où l'interprète devient un calculateur, et une centrale de commande de gare de marchandises. Des problèmes techniques… plus de musique.
Frédéric Stochl (Ctbasse de l'intercontemporain) me disait sa fureur devant les réponses de ces suiveurs de Ferneyhough.
Lorsque les musiciens demandent : "comment je fais là, c'est impossible…" le compositeur répond : " si vous ne pouvez pas… alors, faites à peu près". Alors que les musiciens se sont cassé les doigts ou les lèvres pour trouver la solution.
Où commence le travail musical pour l'interprète devant le vide de projet sonore du compositeur ?
Le pire c'est que cela fait des musiques non "entendues" intérieurement (ou physiquement) par leur auteur. Rien ne vient de l'imagination… tout vient du spéculatif abstrait.
J'ai rencontré certains jeunes compositeurs élèves de Ferneyhough à l'IRCAM. Discuter avec eux de la musique est étonnant… tout se ramène à l'algorithme utilisé… et à la combinaison des niveaux de complexités.
Les idées musicales, l'expression, le son… discussion impossible. À l'écoute de leurs œuvres en concert… du Ferneyhough… en moins bien (!). Un fleuve d'ennui…
Ferneyhough se moque même des compositeurs qui entendent leurs œuvres intérieurement au moment de la préparation ou de l'écriture… qui notent des détails… pour lui c'est totalement hors de question… c'est du passé. Alors que justement l'ére de la "série intégrale" est bien passée… C'était une période aussi ou peu de compositeurs entendaient leurs compositions… Si bien que Boulez s'en apercevant a décidé de faire des dictées musicales aux candidats élèves pour ses cours à Darmstadt.
Voilà pourquoi, je répond sur ce passage de Brian Ferneyhough.
Je précise… mais tout le monde s'en doute, que nous nous trouvons devant une approche de la musique vraiment à l'opposé d'un Henri Dutilleux… (puisque c'est le sujet du post).
C'est une vision artistique qui peut par ses détours faire des objets d'art musical écoutables et pourquoi pas… appréciables, mais qui est par cette démarche abstraite à l'extrême une voie sans issue… D'autres avant Ferneyhough s'y sont déjà cassé les dents… Dommage pour ces jeunes compositeurs, qu'ils y aient vu une perspective à long terme.
Il faut savoir choisir ses professeurs… et si on n'a pas de professeurs, choisir ses influences…
Salut Alain, salut dub.
Gilles